Hommage et Lettre d’amour à Philippe Jaccottet par Serge Pauthe.

PHILIPPE JACCOTTET (1925/2021)
L'HABITANT DE GRIGNAN
« On ne fait pas de bruit dans la chambre des morts : on lève la bougie et les voit s’éloigner.
J’élève un peu la voix sur le seuil de la porte et je dis quelques mots pour éclairer leur route. »
Cher voisin de Grignan,
Je vous écris loin de nos bases respectives. Je suis au seuil de l’Aube, contemplant un paysage si différent du nôtre. Le soleil rasant éclaire les mille gouttelettes posées sur chaque brin d’herbe encore roidi par le gel nocturne. La colline jouxtant notre maison ? On dirait du cuivre passé à la paille de fer. La terre fertile protège les semailles encore enfouies sous ce sol gelé et laissera bientôt surgir le colza. Une grande nappe de couleur jaune d’or s’étendra alors tout autour de la maison, nous invitant à partager les premiers pique-niques du Printemps.
En contemplant dès l’aube ce doux paysage situé tout de même à 600kms de la Drôme, (nous savons que la terre est vaste mais que la France l’est tout autant), je vais vers vous. Allègrement, car la pensée n’a pas de frontières. Jusqu’à nos « Montagnes basses de la Drôme », que vous avez si bien décrites.
Et je veux à cet instant, cher Philippe Jaccottet, vous dire toute ma passion et tout mon amour. Car vous avez écrit des pages sublimes sur ce Pays de Grignan. Et le voisin que je suis, tantôt de Valréas et tantôt de Buis-les-Baronnies, a goûté intensément vos « Semaisons » et votre description si poétique de nos « Montagnes basses de la Drôme ».
J’ai fait votre rencontre pour la 1ère fois en 1987, au Théâtre National de la Criée à Marseille. Rencontre littéraire s’entend. Nelly Borgeaud, admirable comédienne, nous avait lu en fin d’après-midi, avant de jouer la Comtesse du « Mariage de Figaro » de Beaumarchais, des extraits des « Semaisons » d’une manière si douce et si délicate que j’ai petit à petit perçu l’origine de vos textes et le lieu poétique de cette description. Ainsi je vivais à Valréas depuis 4 ans. J’allais jouer avec Maréchal à Marseille et une coïncidence heureuse m’a fait découvrir mon voisin Philippe Jaccottet de si pénétrante inspiration.
Revenu à mon logis valréassien, j’ai aussitôt repris mes randonnées solitaires en privilégiant les sentiers qui mènent au sommet de la Montagne de la Lance, située entre Nyons et Dieulefit. En variant bien sûr les lieux de départ. Soit de Rousset-les-Vignes ou de La Roche-Saint-Secret. Avec cette fois-ci, mon bâton de marche dans la main gauche et mon viatique dans la poche droite, l’une de vos « Semaisons » que je lisais sur le plateau surplombant ce pays de Grignan, votre royaume en poésie.
Mais là où je vous aime par dessus tout, c’est lorsque l’occasion me fut donnée de lier l’une de vos descriptions à une commémoration d’actes de Résistance menés par des maquisards regroupés sur la Montagne de la Lance.
À l’initiative de Jean Dubief, militant communiste très actif au sein de l’ANACR (Association Nationale des Anciens Combattants de la Résistance), la journée du 15 Août fut choisie pour honorer les actions héroïques de ces résistants. Me fut confiée la partie artistique de cette montée sur le plateau de la Lance jusqu’à la ferme où s’abritaient les Résistants. Donc, le 15 Août 1993, avec une équipe de jeunes comédiens, étudiants à Paris (dont ma fille Célie, étudiante à la Fac «Sorbonne Nouvelle»), nous avons joué « La Geste des Maquisards de la Lance ».
Et c’est là que vous entrez en scène, cher Philippe Jaccottet.
Loin de mes bases et de mes livres, je peux vous citer de mémoire votre texte décrivant les basses montagnes de la Drôme que nous disions, perchés là-haut entre ciel et nuage, les voix portées par ce vent filant vers la plaine jusqu’au seuil de votre maison.
Écoutez :
« Les Basses Montagnes de la Drôme, c’est une énigme à l’horizon campée, une merveille qui nous accompagne tous les jours.
Des pentes, des courbes comme des mouvements dessinés dans la terre, absolument immobiles ; des champs qui descendent, qui ont l’air de couler avec leurs mottes, leurs herbes, leurs chemins, vers l’affaiblissement éloigné d’une rivière qu’on peut ne pas voir, puis, toujours moins précis, cela se relève, remonte et s’interrompt au bord du ciel, comme la lumière est portée dans le berceau, dans le bassin du jour. »
Écoutez à présent votre final, qui s’adaptait parfaitement au message de cette cérémonie :
« L’homme le plus démuni, même s’il ne peut pas s’exprimer, même dans les poussières et les haillons, a connu les secrets de ces pentes, l’attrait de ces vallées qu’éclaire la nuit. »
Vous étiez, je tiens à vous le dire, en très bonne compagnie. Car, au fil de ce montage poétique relatant la vie cachée de ces hommes, Éluard, Aragon et mon cher Nazim Hikmet prenaient le relais pour porter bien haut la parole des poètes si proches dans le combat nécessaire pour chasser hors du pays… L’envahisseur haï.
Oui, je persiste à vous dire que je vous aime, cher Philippe Jaccottet. J’ai dans mon cœur votre doux chant qui s’exprime lorsque je m’approche de ce pays de Grignan. Il est un lieu particulier où je prends le temps de m’arrêter lorsque je viens de Nyons pour aller à Crest. A l’embranchement des routes départementales D538 et D541, à 7kms de Nyons, il y a fort heureusement un petit parking où il est bon de s’arrêter à toute heure. Mais surtout lorsque le soleil descend. Été comme hiver, vous découvrez un paysage qui s’étend jusqu’aux Cévennes. A droite, la chapelle de Notre-Dame-de-Beauvoir, perchée sur sa colline, garde encore les cendres d’une mienne amie qui aimait tant ce lieu sacré. Et devant vous apparaît ce paysage que vous avez, vous aussi sanctifié. Chaque fois que je suspends mon vol, avant de filer vers le col d’Aleyrac qui mettra fin à la contemplation de votre Pays de Grignan, je murmure quelques extraits de vos poèmes en prose qui s’accordent si bien à ce qu’il m’est donné de voir encore et encore…
Reconnaissance éternelle.
Je vous aime.
Serge PAUTHE
Commentaires récents